Loft Gallery Casablanca inaugure cette nouvelle saison artistique avec Bouchra Boudoua, une artiste et designer marocaine dont le travail en céramique redéfinit les frontières entre art et artisanat. Au Maroc, plus encore qu’ailleurs, cette tension entre arts visuels et arts traditionnels raconte l’histoire d’une culture où la production artistique est une nécessité, un acte de mémoire et de transmission. Entre les mains de l’artiste, l’argile n’est pas décoratif: il est la peau d’une culture, sa surface sensible, sa mémoire incarnée. Dans la continuité des figures emblématiques des années 60 Depuis sa création, Loft Gallery a nourri un intérêt profond pour les figures majeures de la scène artistique marocaine des années 60, notamment les artistes de l'École de Casablanca et les artistes dits naïfs, dont l'œuvre a marqué un tournant décisif dans l’art moderne marocain. Le choix de Bouchra Boudoua, par son approche radicalement personnelle de l’artisanat, confirme l'engagement de la galerie à valoriser et promouvoir des artistes qui, tout en étant fidèles aux racines culturelles du Maroc, innovent en interprétant les formes et les matériaux traditionnels. Je me souviens de cette terre lointaine... Dans I Remember a Land, Bouchra Boudoua établit un lien profond avec les paysages de son enfance, souvent situés en dehors des villes, dans des régions reculées. Dans ses représentations, on repère des montagnes escarpées, des friches, des forêts denses, des villages et leurs fontaines ancestrales, les iconiques damiers des intérieurs traditionnels, les portes et les fenêtres de ces espaces de vie... autant de toponymies silencieuses qui habitent sa mémoire. Une poétique du paysage Boudoua collecte ces fragments du paysage, ces traces matérielles et immatérielles, et en extrait un vocabulaire visuel distinctif. Par un procédé d’abstraction évoquant l’approche des avant-gardes modernistes, et une sensibilité proche des peintres dits naïfs, elle développe une forme de naturalisme abstrait qui lui est propre. Chaque fragment, décomposé et réinterprété, est au service d’une réinvention poétique du paysage. Le motif créé n’est pas tant une représentation qu’une évocation ; Boudoua ne reproduit pas, elle extrait l’essence même des lieux et respire le souffle de la terre qui les traverse, révélant une beauté fugace et profondément enracinée dans la mémoire collective. « Le motif n’est pas un simple embellissement, il est l’expression de l’âme de l’objet, de sa mémoire et de son lien à la terre », explique Bouchra Boudoua. « Je cherche à transposer la richesse ornementale de mon patrimoine dans un langage artistique qui parle au présent. Chaque motif est une trace du passé, réinterprétée pour raconter l’histoire d’un retour aux sources. » Bouchra Boudoua L’exploration de l’argile : De la sculpture au paysage Dans la pratique de Boudoua, le médium se déplace au fil du temps. Les œuvres qu’elle dévoile dans cette exposition témoignent de l’exploration d’un nouveau geste plastique. D'abord sculpturales, les propositions sortent de la limitation du volume de l’objet en céramique, épousent la planéité de l’image pour proposer un paysage, une architecture. Ici, l’argile, matière première vivante et malléable, incarne un acte d’écoute, un geste d’accueil du paysage et de ses respirations. Entre fixité et mouvement La démarche de Bouchra Boudoua ne se limite pas à un hommage passif au paysage ni à une nostalgie de l'enfance. En réussissant le tour de force de transcender forme et matière, elle fait dialoguer la représentation – perçue comme figée et immuable – avec la malléabilité d'un matériau qui, par sa nature, conserve la trace de chaque geste. Son travail devient alors le terrain d’une tension entre le fixe et le mouvant, le silence et la vibration, la mémoire qui sédimente et le regard introspectif qui déstabilise. Ce qui se joue ici est moins la capture d’un lieu que la persistance d’un souffle : celui d’un paysage en perpétuelle recomposition.